L’impression 3D médicale, toute une histoire
RÉVOLUTION ? ÉVOLUTION ? - L’impression 3D bouscule en tout cas l’univers médical et la pratique de la médecine. Soins personnalisés, prothèses sur-mesure, traitements révolutionnaires, greffes d’organes synthétiques, praticiens mieux entraînés… Le champ des possibles semble infini. Les questions que cela implique aussi. Allons-nous devenir de simples machines dont on change les pièces défectueuses ? Après la médecine victorieuse de la maladie va-t-on vers une médecine qui cherchera à transcender la condition humaine en régénérant les corps ? Ce sont toutes ces questions que nous avons abordées avec nos témoins dans ce dossier qui retrace à grandes lignes l’histoire -si courte et pourtant déjà si dense- de l’impression 3D appliquée au médical.
On installe des stents dans les artères encrassées, des pacemakers pour accompagner les coeurs, des prothèses diverses et variées. Les peaux sont cultivées pour soigner les grands brûlés, des implants cochléaires permettent de vaincre la surdité. Et au fait, que sont les lunettes et les lentilles si ce n’est des dispositifs médicaux pour améliorer la vue de l’individu qui les porte ? Avec les exosquelettes ou les rétines artificielles, les prothèses de mains ou les interfaces qui permettent de commander des gestes par la pensée on passe certes à un autre niveau. Mais l’idée est toujours de rendre la vie plus simple, plus supportable. Tout simplement possible.
L’impression 3D s’insère finalement dans cette évolution générale en facilitant la formation et le travail des médecins. Et cultive l’idée d’une ouverture au plus grand nombre des avancées de la recherche médicale. Avec des espoirs et des interrogations, des craintes éthiques justifiées ou non, des interactions industrie-médecine qui se resserrent encore. Et puis il y a nous, les patients actuels ou futurs. Qui se demandent de quoi nos lendemains médicaux seront faits.
Au commencement était le prototypage rapide
L’impression 3D est une (relativement) vieille idée neuve. Si elle se retrouve à la une des magazines depuis deux ou trois ans, ses prémices remontent au siècle dernier. Le développement du prototypage industriel a une trentaine d’années. Quant à ses applications médicales, elles sont encore plus récentes. Pour Alain Bernard, vice-président de l’Association française de prototypage rapide et fabrication additive le discours d’Obama sur l’état de l’union, en 2013, annonçant que l’impression 3D serait la prochaine révolution industrielle et qu’il fallait y investir a été un formidable accélérateur. Politiqueset médias ont commencé à s’y intéresser et le buzz s’est rapidement fait autour de ces nouvelles techniques.
L’autre facteur favorisant, selon Alain Bernard, est le passage de nombreux brevets dans le domaine public. « Les premiers, les historiques, datent des années 80. Le fait qu’ils soient aujourd’hui accessibles à tous a fait
bouger les choses en créant beaucoup d’ouvertures. De nombreuses choses se créent, ça explose car la connaissance est là. Même si au final, alors qu’il y a eu un effet de mode sur les
imprimantes personnelles, il n’y a pas d’explosion non plus. On a dit qu’on allait pouvoir fabriquer son coeur et son foie chez soi, c’est de l’illusion et de l’inconscience. »
Néanmoins, le monde médical s’ouvre de plus en plus à l’impression additive, en particulier depuis 2007, où on a commencé à poser des normes, ce qui a permis de rassurer un certain nombre de personnes. Ainsi aujourd’hui, « le médical représente plus de 20 % des applications de la fabrication additive, car elle permet la personnalisation de masse, précise le docteur Didier Nimal, fondateur de la société OsseoMatrix. Parmi les applications les plus courantes, on trouve les couronnes dentaires, les coques de prothèses auditives, des prothèses, des orthèses, de l’impression de tissu, des moules et des instruments spéciaux. »
Evolution ou révolution ?
L’impression 3D bouscule donc l’univers médical, ainsi que ses relations avec le monde industriel. L’un se nourrissant de l’autre et les deux rivalisant d’imagination et de créativité. « Les outils technologiques et numériques en général vont presque au-delà de ce pour quoi ils sont créés, analyse le docteur Arnaud Devèze, chirurgien ORL à l’hôpital Clairval de Marseille. L’outil précède presque le besoin. On développe pour un ou deux besoins et les utilisateurs embraient sur d’autres utilisations. »
C’est une évolution ?...
« Oui car l’impression 3D permet de fabriquer des pièces complexes, non réalisables par d’autres procédés. Comme l’impression 3D est un process relativement lent car couche par couche, de gros efforts portent actuellement sur des technologies permettant de diminuer le temps de fabrication afin de fabriquer en série des pièces », explique le docteur Didier Nimal.
... Non c’est une révolution sire
Le directeur d’OsseoMatrix parle même de révolution « dans le sens où l’impression 3D met à portée la fabrication de pièces uniques et complexes et qu’elle révolutionne la supply chain. » Alors est-ce véritablement cette nouvelle révolution industrielle dont parlait Barack Obama ? Gaël Volpi, le président de 3D Medlab est sur la même longueur d’onde. « C’est une révolution industrielle au sens large qui touche de nombreux domaines industriels. À ce titre, la technologie additive révolutionne également le domaine médical car elle permet d’ouvrir de nouveaux marchés et de répondre à certaines indications médicales. Le 3D touche essentiellement les pays industrialisés bien évidemment. Mais l’ensemble des acteurs mondiaux est concerné par cette technologie et cherche à la promouvoir. »
L’impression 3D fait ainsi sortir les chercheurs de leurs laboratoires, à l’image de la société Poietis. « Les développements sont particulièrement importants en Amérique du Nord, en Asie et en Europe, souvent drivés dans un premier temps par des laboratoires de recherche académiques d’où émanent ensuite des start-ups. » explique Bruno Brisson, son co-fondateur.
Cette révolution, c’est aussi celle de la médecine sur-mesure. Où l’on fabrique la prothèse dont on a du patient, au lieu d’adapter un modèle de série. « On a ainsi des prothèses implantables sur-mesure et à base de nouveaux matériaux pour des tissus plutôt durs et des applications en implants osseux, chirurgie maxillofaciales, craniales, des prothèses de hanches ou encore pour des artères, » poursuit Bruno Brisson.
Ce que le docteur Arnaud Devèze résume d’un « la révolution est là mais on n’a pas encore appréhendé l’ensemble des possibilités qui vont s’offrir à nous. »
Et les médecins dans tout ça ?
Oui les médecins, les chirurgiens, uniques détenteurs du savoir jusqu’alors, comment trouvent-ils leur place dans ce grand chambardement de leur façon d’exercer et face à l’évolution des outils et objets thérapeutiques qui s’offrent à eux ? « La grande majorité, pour ne pas dire la totalité, sont très intéressés et motivés dans la mise en place de cette nouvelle technologie, notamment pour les aider à trouver des solutions pour répondre à certaines indications médicales pour lesquelles ils n’avaient pas de solution auparavant, » assure Gaël Volpi.
Du côté de chez Poietis, Bruno Brisson est plus posé. « Les médecins ont l’air de croire en ces nouvelles technologies qui vont permettre de développer des solutions thérapeutiques mieux adaptées pour chaque patient, ce que l’on appelle la médecine de précision et individualisée. Le corps médical adhère aussi à ces technologies pour une meilleure compréhension du vivant (modélisation, tests prédictifs) et comme support d’enseignement, avant même de parler des actes chirurgicaux. Il faut cependant attacher de l’importance à la façon dont vont s’intégrer ces nouvelles technologies dans leur mode opératoire. »
Pour le chirurgien ORL Arnaud Devèze c’est non seulement la pratique des praticiens qui est changée mais aussi et peut-être surtout leur mode de formation. Car il n’y a pas de secret : pour devenir un bon chirurgien il faut s’entraîner encore et encore, répéter les gestes, observer les diverses pathologies qu’on peut être amené à rencontrer dans l’exercice de son métier. « Or la répétition des gestes ne peut se faire que sur pièces cadavériques
(limité chez nous et inexistant dans d’autres pays pour des raisons sociales ou religieuses) soit sur du numérique. Il y a aussi un aspect réglementaire et social. En matière de santé le grand public est mieux informé qu’auparavant et n’accepte plus que l’entraînement des futurs médecins se fasse sur du vivant, même si c’est bien encadré. Mais d’un point de vue de l’image c’est mal accepté. Avec l’impression 3D les étudiants peuvent voir en quelques mois des tas de cas que normalement ils mettent des années de formation à essayer de croiser. Et on peut créer à la demande n’importe quel modèle pathologique aussi complexe soit-il. Et au bout du bout, si l’entraînement général ne suffit pas, je peux créer une impression 3D adaptée à mon patient et je m’entraîne sur sa tumeur à lui avant de l’opérer. »
L’impression 3D va également impacter le domaine de la recherche, ce quevit déjà la société Poietis. « Pour la bioimpression tissulaire avec des applications in vitro (validation d’ingrédients ou de candidats médicaments, modèles pathologiques) et in fine des applications médicales (réparation tissulaire) », précise Bruno Brisson.
Enfin, c’est du côté de la fabrication d’organes et de la possibilité de greffes que se polarise le plus souvent le discours médiatique. Et de fait, au vu du déficit de donneurs par rapport aux besoins de greffons, l’idée de remplacer un organe déficient par sa copie en 3D soulève beaucoup d’espoirs. « L’impression 3D permettra effectivement d’avoir moins recours à des greffons, ce qui sera un grand progrès aussi pour les greffes d’organes dont la demande est inférieure à l’offre. Le coût de prélèvement et de traitement d’un greffon est élevé et l’impression 3D apportera des solutions plus économiques, » prédit le docteur Didier Nimal, d’Osseomatrix.
Mais Bruno Brisson tempère cet enthousiasme « il faut être prudent sur les messages délivrés et les promesses. Il est clair que l’implantation d’un organe entier bio-imprimé n’est pas pour demain. » Tout en reconnaissant « les coûts de ces technologies devraient baisser dans le futur et être suffisamment compétitifs si on conçoit des systèmes industriels et automatisés. L’un des buts sera en effet de pallier le manque de greffons, en nombre et en qualité, et peut-être aussi d’une manière transitoire. »
Des patients mieux informés et plus exigeants
Le rapport entre les patients et leurs soignants a déjà fortement évolué ces dernières années, depuis que l’information médicale est devenue plus accessible via Internet en particulier. Les évolutions technologiques induites par l’impression 3D vont encore accentuer la tendance. La France est un pays très avancé en matière de simulation numérique. Le niveau de base de tous les médecins est élevé. Ce qui fait qu’on va voir tel ou tel médecin c’est sa réputation, qui va avec l’efficience. « Cela contraint les chirurgiens à être excellents, quand le patient sait qu’on peut s’entraîner sur sa tumeur à lui », explique le docteur Devèze. Côté jurisprudence c’est une donnée importante à prendre en compte. « Le risque avec l’impression 3D pourrait être que l’aspect marketing soit mis en avant de façon extrême. Un patient pourrait exiger que le chirurgien s’entraîne sur son problème avant de l’opérer. Soit le médecin anticipe et le fait systématiquement et fait du marketing médical. Pour ceux qui ne pourront pas le faire c’est fini ! »
Pour le chirurgien marseillais, l’impression 3D est aussi une énorme chance pour les pays émergents, comme l’Inde par exemple, « où il y a une augmentation énorme de la qualité des soins parce que les médecins ont maintenant accès à l’entraînement. On va tirer vers le haut le niveau de formation de base. »
Ethique ou toc ?
Allons-nous être traités comme une vulgaire machine dont on change les pièces défectueuses ? La médecine soigne et combat la maladie. Ne vat- elle pas être tentée de chercher à transcender la condition humaine en régénérant les corps ? Ou à céder à la tentation chère aux transhumanistes d’un homme augmenté ? Gaël Volpi se veut plutôt confiant « Il y aura toujours des collèges “éthiques“ qui cadreront ces applications. Une nouvelle technologie applicable sur l’être humain posera toujours des problèmes éthiques et moraux auxquels la 3D est d’ores et déjà confrontée. Le Bioprinting sera particulièrement concerné par ces débats. Mais il reste encore en phase d’étude, de recherche et de développement à ce jour. »
Le docteur Didier Nimal pense lui aussi qu’« il y a tellement à faire pour soigner l’humain que c’est ce qui nous guide pour longtemps. Par contre on ne pourra jamais empêcher quelques-uns de dériver vers l’homme augmenté et beaucoup de fantasmer à ce sujet. » Et que même s’il est important de se poser des questions d’éthique sur l’utilisation des progrès de la science « à part la question de l’homme augmenté, les bénéfices de l’impression 3D qui permettent d’éviter les greffons ou ceux de la bio-impression de tissus pour remplacer certaines expériences sur les animaux sont indéniables. »
Les limites que se fixeront les sociétés impliquées dans ces nouvelles technologies seront également importantes pour ne pas se laisser griser à jouer les apprentis sorciers. C’est le chemin que veut emprunter Poietis. « Ces nouvelles technologies ont pour but de développer des traitements visant à réparer une lésion et non pas à améliorer une fonction. D’autres tendances portées par le courant transhumaniste, présent notamment dans les médias mais aussi dans des grosses sociétés pourraient vouloir concevoir des développements avec ces nouvelles technologies. Certains prédisent même de pouvoir “repousser les limites de la mort’’… De l’homme réparé à l’homme augmenté ? La médecine régénératrice a le vent en poupe mais certains courants vont à l’encontre de cette “augmentation’’ et souhaitent limiter les applications de ces technologies à la réparation, notamment dans certains start-up comme Poietis où les inventeurs et fondateurs ont fixé les limites des développements, y compris dans l’objet social de la société, à la réparation. »
Gérer la balance entre réparation et augmentation
L’impression 3D médicale fait partie intégrante de la médecine, institution sociale s’il en est, qui dépend aussi de choix politiques. Il reviendra entre autre à ceux qui nous gouvernent de poser des garde-fous pour gérer cette délicate balance entre réparation et augmentation. Face à cette nouvelle technologie qui bouscule d’ores et déjà le monde du soin en ouvrant de nouveaux possibles, on peut aussi compter sur les médecins pour pratiquer en gardant à l’esprit cette phrase du serment d’Hippocrate « Même sous la contrainte je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité ».
Article L-122-4
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