Lutherie : Pascal Camurat l'âme au bout des doigts
"Antonio Stradivari n’avait aucun secret. Pas de vernis magique, pas de colle miraculeuse, ni de bois coupé une nuit d’hiver par lune descendante, c’était simplement un excellent artisan qui savait vendre son travail," résume Pascal Camurat. Cette prise de position reflète bien l’état d’esprit du luthier montpelliérain installé dans une bâtisse rénovée qu’il partage avec son ami et confrère créateur de guitares Marc Kempfer.
Formé à l’école allemande de Mittenwald, au sud de la Bavière, Pascal ne revendique aucun héritage sur le plan professionnel, même si son père était aussi luthier. "La seule chose que j’aie gardée de lui, c’est son pied droit (réglette en bois)," souligne l’artisan. "Bien sûr, j’ai bénéficié de sa réputation à mes débuts, mais au fil des années c’est devenu un poids. J’étais invariablement le ”fils de”. C’est en partie pour cette raison que je me suis spécialisé en archèterie. Fabrication, réparation, restauration, commerce, nous savons tout faire. C’est donc par goût ou en fonction des circonstances que nous nous spécialisons. Je conçois une cinquantaine d’archets que je vends principalement à des « grossistes » japonais. Le paradoxe c’est que je n’en produis pratiquement pas pour les musiciens français, notamment à Montpellier."
Une fabrication qui suit toujours le même rituel, bien sûr entièrement à la main, et demande beaucoup de minutie. "Nous partons de la matière première et nous fabriquons l’ensemble des pièces. Cela nous oblige à posséder des compétences en bijouterie, marqueterie ou ébénisterie. Des savoir-faire nombreux et nécessaires pour fabriquer cet objet de grand luxe", explique le luthier. Et d’ajouter, "tout ce travail prend énormément de temps". Alors évidemment cela relativise le prix (entre 2000 et 4000 euros pièce) d’un tel objet et l’on comprend aisément que seuls les musiciens de très haut niveau peuvent y prétendre.
Et l’artisan, s’il regrette le temps qui s’en va, doit également, tel un danseur de ballet, ménager son corps. "Notre métier est très physique. Nous luttons avec le bois, qui, du fait de ses qualités de résistance et d’élasticité, est très nerveux. De surcroît, il est allergisant. Comme nous effectuons un travail de précision, il est hors de question pour nous de porter des gants et nos mains en souffrent. Pour ma part, je supporte assez bien la toxicité du bois, mais j’ai dû être opéré du canal carpien et du coude. Quant à mes mains, j’ai toujours un peu honte de les montrer... "
Pernambouc
Entre grâce et damnation
Ce n’est pourtant pas la difficulté du métier, ni une crise de vocation de la jeunesse qui alimentent les craintes et agitent les nuits de Pascal et de ses condisciples archetiers, mais tout simplement la raréfaction de la matière première. L’élément central de l’archet, ce bois qui compose la baguette, le pernambouc, essence qui pousse exclusivement sur la côte atlantique du Brésil, est tout bonnement interdit d’exportation depuis 2009. Depuis… Les artisans vivent sur leurs stocks. "Je peux encore produire des archets pendant quelques années car pour être travaillé, le bois d’un archet ou d’un instrument doit “saisonner” (sécher, se resserrer, se densifier)." L’interrogation qui vient naturellement est de se demander pourquoi exclusivement cette essence ? Un autre bois n’a t-il pas des qualités comparables ?
Avec le sourire de celui qui a répondu cent fois à cette question, Pascal explique que "d’une part trouver une autre essence disponible avec les mêmes qualités demande des ressources en temps et en argent que ni un artisan ni même une association professionnelle ne possèdent. D’autre part, le milieu des musiciens de concert est extrêmement conservateur. Tous, à tort ou à raison, ne jurent que par le pernambouc." Et de conclure : "après tout ce sont eux les clients".
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