Art du papier: les métamorphoses d'Aïdée Bernard
Au bord des berges du Lirou, petit affluent de l’Orb qui traverse le village biterrois, il n’est pas rare d’apercevoir quelques fumées étranges, volutes énigmatiques émergeant de la brume matinale. Aïdée Bernard, au fond de son jardin, est au travail. Telle l’alchimiste dans sa quête de la pierre philosophale, elle prépare sa mystérieuse mixture : une pâte à papier composée de folle-avoine, de micocoulier ou de salsepareille.
"Le papier que je crée est nourri d’ici, de cette terre qui me porte. Il est le résultat d’une métamorphose de la matière et parle de mon rapport à la visibilité, ce que je donne à voir", indique la jeune femme. L’artiste s’inspire de la nature qui l’environne. Ses œuvres, telles des chrysalides traversées par une écriture en filigrane à peine visible, dévoilent l’histoire qui l’habite, son intime. "Cette histoire sourde, se révèle dans une approche sensible de ce que je suis. Ces mues successives qui une fois qu’elles ont trouvé leurs formes me permettent de passer à une autre, plus proche de moi, tel l’effeuillage de couches de représentations successives. J’aime que la surface soit la plus fine possible, comme une pellicule, une peau, qui raconte ce qui m’a touchée, sensation ineffable, murmure visuel".
Etre au plus près du monde végétal
Dans l’atelier-laboratoire du grenier, baigné par l’éclatante lumière du Midi, la cellulose finit de se décomposer dans une succession de bassines. De cette matière brute, Aïdée Bernard, par l’intermédiaire d’un cadre tamisé, extrait ce qui va constituer la feuille de papier. D’un poignet assuré et précis, elle « grave », avec un pulvérisateur rempli d’eau, le texte qu’elle a préalablement rédigé.
"Être au plus près de ces autres être vivants du monde végétal, questionne la capacité à vivre ensemble, invite à ne pas être utilisateur des ressources de la planète mais co-créateur du monde. Ainsi je souhaite, par mon regard poétique, rendre hommage au lien des hommes avec le végétal et à toutes les choses visibles et invisibles qui constituent la trame vivante de notre écosystème", ajoute la plasticienne.
Le séchage se réalise entre deux couches de feutre de laine. L’œuvre finale est le plus souvent composée de plusieurs essences différentes superposées et entrelacées. Parmi les livres de dentelles ou les kakemonos, les robes de papier interpellent. Des robes d’une apparence si fragile, diaphane "nées de l’amour, qui m’interrogent sur la place à prendre, au cœur d’elles, au cœur de moi, chair qui se fait surface".
Si l’artiste peut regretter "que la fabrication du papier ne soit pas assez connue en France", elle expose dans le monde entier notamment aux Etats-Unis et en Chine, ou à l’occasion de la Triennale internationale du papier à Charmey en Suisse. Désireuse de partager et de mieux faire connaître son art, elle propose plusieurs stages tout au long de l’année. Comme dirait Guy de Maupassant, "la parole éblouit et trompe, mais les mots noirs sur le papier blanc, c’est l’âme toute nue".
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